Le 13 mars 2025, There’s a Way et Action Justice Climat Paris ont organisé une performance documentaire, “Total face à ses crimes”, alliant performance artistique et contenu documentaire. Retour sur cette nouvelle forme de mobilisation avec Aurélie et Marguerite, porteuses du projet.
Pourquoi faire le choix d’une mobilisation théâtrale ?
Aurélie : Je suis danseuse, comédienne et chorégraphe. Le collectif “There’s a way” (TAW) que j’ai créé avec d’autres militant.es fait converger ces activités engagées et militantes avec des activités artistiques : ça passe par des concerts, des expos, des spectacles… toutes formes d’art. Dans notre palette, TAW réalise aussi des performances sur mesure pour des associations engagées et militantes.
On a entendu parler de l’organisation d’un projet fictif sur TotalEnergies pour dénoncer ses actions et soutenir le procès de deux activistes. Damien et Max, deux activistes d’Action Justice Climat ayant participé de manière non-violente à l’action de blocage de l’Assemblée générale de Total en mai 2023. Damien a été relaxé, Max a été condamné en première instance pour son implication.
Action Justice Climat appelait à la collaboration artistique. Nous joindre à AJC Paris faisait complètement sens pour nous. Nous étions d’autant plus motivé.es que danse, vidéo, et théâtre s’y mêlaient pour co-construire un objet original.
Marguerite : Cela fait 4 ans que je suis militante chez AJC. D’abord en communication et en rédaction. J’ai fait des études de recherche en langue et lettres françaises, puis de communication, et à côté je fais du théâtre. L’art occupe une place importante à côté de mon activité militante.
Quand on a commencé à réfléchir à la forme de la mobilisation pour les procès de Max et Damien avec d’autres activistes d’Action Justice Climat, l’idée de faire quelque chose de symbolique est assez vite sortie, on avait envie de quelque chose de théâtral pour dénoncer l’injustice de la situation. C’était une forme de mobilisation déjà présente dans notre répertoire d’action: par exemple, lorsque des activistes d’Action Justice Climat, d’ACRIMED, et de l’organisation Le Mouvement, ont tenu une cérémonie parodique devant l’Arcom pour récompenser les promoteurs de l’extrême-droite sous la coupe de Vincent Bolloré.
Et cette fois, on a voulu pousser davantage le curseur artistique. Quelque chose qui soit plus qu’une simple mobilisation devant un lieu. En acceptant d’accueillir le projet, Le Ground Control nous a permis d’explorer ses possibilités au maximum pour créer un véritable spectacle à la fois informatif et très artistique.

Quelle place occupe les procès (réels) de Max et Damien dans l’écriture de la pièce ? Est ce que la pièce est un moyen de les soutenir symboliquement, financièrement ? Et de quelle façon ?
Aurélie : Après avoir eu vent de l’appel à collaboration pour créer un procès fictif sur Total, à la première réunion avec Marguerite, on a appris le lien avec le procès de Max et Damien. Nous ne connaissions pas leur situation mais ça a donné encore plus de sens à notre participation.
Notre travail mêlait plusieurs dimensions : soutenir ces militants financièrement, collaborer avec AJC Paris avec qui on avait déjà des liens, et créer quelque chose d’artistique et engagé. Ce qui nous motive vraiment, c’est quand l’art et le militantisme vont main dans la main.
Marguerite : Pour ce projet, tout part du procès de Max et Damien lié à Total, on ne peut vraiment pas dissocier les deux. Au début, on voulait créer une mobilisation symbolique et artistique. Mais à AJC, il n’y a pas de pôle créatif dédié. Il fallait donc se mettre en recherche de partenaires !
Très vite, on a cadré le projet : faire un procès fictif pour inverser les rôles, à savoir mettre Total en position d’accusé, plutôt que Max et Damien et de retourner le stigmate de l’accusation sur cette entreprise véritablement criminelle. Les objectifs étaient clairs: sensibiliser aux causes qui ont poussé Action Justice Climat et et beaucoup d’autres mouvements à agir contre Total, et aussi soutenir financièrement les procès réels qui coûtent cher.
Côté Action Justice Climat, on possède un savoir-faire dans la coordination de mobilisation, et notamment des forces bénévoles pour piloter différentes coordinations opérationnelles comme la logistique, la communication, la gestion des forces… Sans elleux, il n’y aurait pas eu de “Total face à ses crimes”.
Du fait de ma formation j’ai été active sur les différents plans, et joué le rôle d’intermédiaire entre AJC et TAW pour la production de cette performance. On a créé un groupe de direction artistique pour développer les idées, vérifier leur faisabilité, puis en discuter avec les coordinations d’AJC. Il s’agissait d’un véritable travail collectif où les idées venaient de partout.



L’équilibre entre la dimension artistique et la dimension pédagogique et informative n’a dû être facile à concevoir. Comment avez-vous géré et réussi à faire tenir ces dimensions ensemble et de façon cohérente ?
Aurélie : Lors des premières réunions de direction artistique, je me souviens que les idées fusaient de partout. Nous étions embarqué.es dans l’idée d’exprimer les faits avec l’ensemble des médiums artistiques qu’on maîtrisait, dont la danse, ou même la Comédie musicale ! Une fois toutes ces idées mises sur la table, il y avait un besoin de recentrage. L’idée du procès fictif avait l’avantage de permettre de nous inspirer d’une forme réelle, car un procès fonctionne comme un rituel, avec des temps dédiés. On a alors pu dérouler les thèmes sur la trame que dessinait le procès mais ne surtout pas donner l’impression d’un exposé. D’où l’alternance entre les formes d’expressions artistiques.
En fait, pour résumer, il y a eu trois temps : un premier temps de brainstorming créatif; un second temps de recadrage par rapport aux contraintes afin de choisir les moyens les plus éloquents mais faisables bien sûr, et un dernier temps consacré à l’écriture avec Marguerite en lead, et la relecture et les ajustements avec la direction artistique.
Marguerite: Si on veut parler de la création de cette performance, il faut repartir de la base. Pourquoi Max et Damien sont mobilisés contre Total et ses actions? Pourquoi nous AJC et tant d’ONG et collectifs accusons Total ? Que fait cette entreprise française ? Il a donc fallu mener un gros travail de recherche : des articles scientifiques, des sources journalistiques, des rapports d’ONG etc., pour comprendre toutes les violations et les dégâts dont Total se rend coupable, et les synthétiser.
Pour la représentation, on a choisi un lieu ouvert, accessible, fréquenté par des profils variés, comme les gens en afterwork – le Ground Control. La représentation au Ground Control nous permettait d’élargir l’audience. AJC est notamment connu pour l’organisation de manifestations, de gros cortèges comme dans les manifs contre la réforme des retraites, et d’actions de désobéissance civile non-violentes.
Avec cette pièce, nous voulions nous adresser aux personnes qui n’ont pas envie de monter sur les barricades, qui ne peuvent ou ne veulent pas prendre des risques lors d’action de désobéissance civile ou de manifestations. Il y avait donc un vrai enjeu sur l’accessibilité et la lisibilité du contenu. On savait qu’on aurait un public plutôt averti mais aussi possiblement du grand public. Il fallait donc expliquer factuellement les problèmes en ayant à l’esprit qu’il y aurait à la fois un public militant et à la fois un public non averti.
Le meilleur moyen de parler de sujets complexes comme la politique énergétique et les conséquences de l’activité Total sur les territoires pour nous, c’était de faire appel à de vrai.es expert.es et témoins plutôt que d’incarner l’expertise par des comédien.nes. C’était plus légitime, surtout quand on parle de souffrance et de crimes à l’autre bout du monde. On a donc ménagé, comme dans un vrai procès, un temps pour l’audience de témoins et des expert.es.



Est ce que les danseur.euses, les comédien.nes ont pu ou dû s’approprier le sujet ?
Marguerite: Pour créer et jouer une pièce, il faut s’approprier son contenu. J’ai un souvenir de Marine qui incarnait la représentante de Total avec brio, nous avoir remercié pour le projet, pas uniquement sur le plan artistique, mais aussi pour s’informer en tant que militante. C’est aussi important d’être au plus près des faits dans l’art et, en particulier pour ces sujets, de ne pas être caricatural. Les joutes entre avocats montraient toute la nuance que le discours militant porte en laissant à la partie de l’accusé l’espace pour exprimer ses arguments.
Aurélie : Dans le collectif TAW, toutes les personnes qui ont participé sont militantes par ailleurs. Certain.es restent dans des actions très artistiques et très militantes, d’autres s’investissent dans des actions militantes plus risquées, mais nous sommes toutes et tous animé.es par les enjeux de justice sociale et écologique. Je me retrouve donc dans les propos de Marine. Collectivement, participer à ce projet nous a permis de nous renseigner et de dépasser les avis un peu arrêtés qu’on pouvait avoir, de découvrir l’emprise de Total sur la diplomatie française par exemple.

Prévoyez-vous de faire d’autres représentations ? Ce serait un peu dommage d’avoir réalisé un tel travail sans le diffuser à un cercle plus large.
Aurélie: On est hyper motivé.es, au vu des retours que j’ai eus. Le format de “procès fictif” peut d’ailleurs s’appliquer sur d’autres structures que Total. Cela demande évidemment de la réécriture, mais on dispose aujourd’hui d’un objet artistique que l’on peut réinvestir sur d’autres thématiques en lien avec les enjeux de justice sociale et écologique.
Marguerite : Oui, c’est un bon moyen de continuer à informer le grand public puisque les injustices et les destructions sont toujours d’actualité, le combat continue. Il en va de même pour Max qui a fait appel de la décision de la juge.
C’est un format qui a du potentiel pour sensibiliser les gens et renforcer la lutte. Après une journée de travail, peu de personnes se mettent à lire des articles ou des rapports sur des sujets complexes de droit, de géopolitique, de transition énergétique. On peut manquer de temps ou juste d’énergie. Le théâtre, la danse ou la vidéo sont des moyens percutants pour informer par la voie des émotions. Rappelons-nous que l’objectif reste de convaincre qu’il se passe quelque chose et qu’il faut agir. C’est en multipliant les canaux qu’on arrivera à quelque chose. On va donc continuer à l’utiliser, à le travailler, et on espère, à le développer !
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