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Sape de Lutte : sérigraphier le combat, recycler la révolte

Juil 10, 2025 | Vie du mouvement

Aux origines : une nécessité d’agir autrement

L’atelier de sérigraphie Sape de Lutte voit le jour à l’été 2019, né dans le sillage des mobilisations climatiques d’Action Justice Climat (AJC). À l’origine, il s’agit simplement de produire des t-shirts pour les actions militantes du mouvement. Les activistes souhaitent afficher leurs messages dans la rue, mais de façon éthique et cohérente avec leurs valeurs :

« On voulait nos propres t-shirts, pas question d’acheter du neuf. » explique Patrick, l’un des piliers du projet.

Victor, l’un des membres fondateurs, s’initie à la sérigraphie grâce à sa cousine Anaïs, artiste ayant de bonnes notions. Avec Basile, photographe et graphiste, ils posent les bases d’un atelier artisanal en apprenant tout par eux-mêmes. Rapidement, l’initiative ne tarde pas à éveiller la curiosité d’autres groupes militants :

« Il y avait dix mouvements à la base. Les Amis de la Terre, Notre Affaire à Tous… Ils ont vu nos t-shirts, et ils nous ont demandé d’en faire pour eux. »

C’est ainsi que naît l’atelier de sérigraphie, dans une dynamique de partage de compétences et d’autonomisation des luttes.

Une pratique artisanale et engagée

La méthode est simple mais exigeante. Tout commence à Chanteloup-les-Vignes, dans un entrepôt de tri textile. Les bénévoles sélectionnent des vêtements de seconde main en bon état et de couleur unie – principalement des t-shirts et des sweats.

L’effort est physique :

« Un bac fait 300 kilos. On en prend parfois 6 ou 7. On bouge deux tonnes pour ramener entre 50 et 70 kilos de bons textiles. » ajoute Patrick.

Ces pièces sont ensuite rapportées à l’atelier, triées, lavées, réparées si besoin, puis prêtes à être sérigraphiées.

Le processus de sérigraphie repose sur une technique artisanale : une résine photosensible est appliquée sur un cadre en nylon, puis exposée aux UV à travers un calque sur lequel est imprimé le dessin en noir. Là où la lumière passe, la résine se durcit ; ailleurs, elle reste soluble à l’eau laissant apparaître la toile qui laissera passer l’encre.

Cette méthode permet d’imprimer en une ou plusieurs couleurs des slogans percutants comme :

« L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage » , « Éco-furieux.se » ,« Résistance »

Crédits photos : Rémy El Sibaïe, Alice Pouhier, Rémy El Sibaïe

Les designs sont créés par des “artivistes” bénévoles et engagés. Leurs œuvres deviennent supports de mobilisation, sur vêtements ou papier recyclé, via la boutique en ligne d’Action Justice Climat du site Label Emmaüs, sur commande d’autres structures et associations, ou tout simplement à la boutique Emmaüs de Césure au 13 rue Santeuil.

Des visages, des engagements

La structure est 100 % bénévole. Patrick rejoint l’atelier deux mois après sa création et devient rapidement une figure centrale, y consacrant aujourd’hui environ 40 heures par semaine. Marie-Christine arrive en 2021, après avoir été mobilisée par les marches pour le climat. Elle découvre l’atelier en visitant la Base (un lieu militant parisien dans le 10eme arrondissement de Paris, ancien local d’AJC), s’essaie à la sérigraphie, et se retrouve vite embarquée dans des tâches logistiques essentielles.

« Le côté manuel et utile du projet m’a tout de suite parlé, j’ai vu que je pouvais aussi aider sur des trucs concrets. »

Roxane, quant à elle, découvre le collectif en 2024 alors qu’elle n’y connaissait rien à la sérigraphie :

« J’ai vu qu’il y avait un groupe de travail sérigraphie en arrivant à Action Justice Climat. J’ai cherché sur Internet ce que c’était. J’ai trouvé ça super et comme j’aime les activités artistiques et artisanales j’ai demandé à participer. »

Patrick, Roxane et Marie-Christine, bénévoles de l’atelier sérigraphie
Crédit : Rémy El Sibaïe

Une production au service des luttes

Sape de Lutte ne répond pas seulement aux besoins d’AJC. Des organisations extérieures passent commande, souvent via le bouche-à-oreille ou Instagram (@sapedelutte), parfois aussi via la plaquette de présentation sur le site. Mais la logistique reste artisanale. Le tri, la sélection des textiles, l’impression… tout est fait à la main, avec une équipe de bénévoles. Certaines prestations sont impressionnantes :

« Pour Partagez C’est Sympa, la chaîne militante de Vincent Verzat, on a fait 250 pièces en bichromie en quelques jours, ça fait 500 impressions ! »

Et certaines pièces ont marqué les esprits. Notamment une affiche illustrant un article du livre « Et si… ? Le monde d’après ne ressemblait pas au monde d’avant », coproduit par Alternatiba (ancienne structure dont faisait partie AJC Paris), ou encore des t-shirts créés pour Music Declares Emergency ou des maraudes solidaires.

« Ce sont des objets qui vivent, qui circulent, qui parlent. C’est ça qu’on voulait. »

Côté finances, la sérigraphie représente près de 18 % des ressources d’AJC en 2024, un soutien précieux pour l’autonomie financière du collectif.

Un atelier au croisement de l’écologie et de l’éducation populaire

Sape de Lutte, c’est aussi un outil pédagogique. Des ateliers d’initiation sont régulièrement organisés : pour des militants, des scolaires, des publics en insertion… On y découvre à la fois la technique artisanale, l’impact environnemental du textile, et la fierté de créer soi-même une pièce engagée.

Fête du vélo Paris 13, 2024

Au final, Sape de Lutte incarne une alternative concrète à la surconsommation, tout en participant au financement des mobilisations.

« L’autofinancement, c’est le nerf de la guerre. Cet atelier participe à garder notre indépendance, tout en portant nos messages avec force. » affirme Marie-Christine.

Aujourd’hui encore, Sape de Lutte reste un lieu vivant, ouvert, en constante construction. L’équipe accueille volontiers de nouveaux bénévoles.

« Oui, on cherche du monde. Pour militer, pour faire, pour partager. »

Cette porosité entre action, création et apprentissage est une force. Elle incarne la manière de militer d’Action Justice Climat : profondément collective. Un avenir à sérigraphier ensemble, donc.

Interview et rédactions : Diane et Ghali

Crédit photos :

Couverture : Clément S. ,

Rémy El Sibaïe, Alice Pouhier

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