Le 22 mai, Action Justice Climat Paris a organisé une table ronde intitulée “La fabrique du négationnisme climatique dans les médias” à la Maison du Zéro Déchet à Paris. À l’heure où les récits climatiques sont de plus en plus marginalisés, étouffés ou récupérés, cet échange a permis de penser collectivement la manière dont une poignée de milliardaires influencent l’agenda médiatique et politique, et comment s’en libérer.
Autour de la table, quatre intervenant·es engagé·es pour une information indépendante et ancrée dans les luttes sociales ont pris part à la discussion pour décortiquer ces enjeux : José Rexach (journaliste à Blast), Micheline Pham (militante au sein du collectif Vietnam Dioxine), Lumir Lapray (activiste politique rurale) et Vinz Kanté (créateur du média LIMIT).
Une guerre culturelle menée dans les médias
La concentration des médias entre les mains d’une poignée de milliardaires et d’industriels (Bolloré, Saadé, Niel, Arnault, Kretinsky etc) est un fait documenté. Ce qui l’est moins, c’est le rôle idéologique actif que ces propriétaires jouent dans le façonnage de l’opinion publique. Pour Vinz Kanté, il ne s’agit plus seulement de contrôler l’information, mais de fabriquer des récits qui servent des intérêts politiques et économiques réactionnaires :
Leurs milliards permettent d’injecter en continu un discours où tout est de la faute des Arabes, des Noirs, des gauchistes, des mangeurs de quinoa… C’est une production faussement intellectuelle qui percole très bien sur les réseaux sociaux.
Cette fabrique du doute s’attaque particulièrement aux enjeux climatiques. Sur YouTube, Vinz observe par exemple que le mot “climat” est pénalisé par les algorithmes, ce qui empêche la diffusion massive de contenus sérieux sur le sujet. Pour être visible, il faut souvent mentir ou créer du contenu sensationnaliste.
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Informer autrement : le terrain pour légitimer
Face à ce verrouillage, les intervenant·es partagent une conviction commune : il faut réinvestir l’espace médiatique avec nos récits et nos images. José Rexach, reporter de terrain, explique :
Je veux vivre les choses avant d’en parler. J’arrive pas à parler des sujets si je l’ai pas ressenti ou vécu. Y’a pas meilleure preuve que les images, que les faits.
José documente les luttes depuis l’intérieur, en caméra embarquée, pour contrer les récits biaisés diffusés dans les médias dominants. Sur des événements comme Sainte-Soline, ses images ont permis de rétablir des vérités délibérément niées par le gouvernement et certaines chaînes d’infos continues.
Son objectif est de redonner de la légitimité aux activistes : “On les voit comme des extrémistes pas intelligents, violents. Même s’ils sont suivis par des scientifiques, on ne va pas les écouter. En montrant des rapports, des images, des faits, on essaye de montrer qu’ils ne sont pas si extrêmes« .
Reconnecter la ruralité et l’écologie
Lumir Lapray, activiste ancrée en territoire rural et périurbain, revient sur son expérience de campagne législative dans l’Ain. Elle expose le mécanisme de captation du vote par l’extrême droite en soulignant l’importance de reconstruire un discours écologique qui parle aux classes populaires.
Il y a un divorce très clair entre les classes populaires blanches rurales et périurbaines, et le mouvement écolo. Ce divorce est organisé par des partis politiques et des milliardaires qui ont bien compris qu’il fallait parler à une France moyenne en danger, à cause du capitalisme et de l’éclatement du monde du travail.
Pour elle, il faut apprendre à parler différemment : écouter, comprendre, et partir du vécu. Lors de sa campagne, elle a bâti un programme participatif à partir des mots des habitants. Ce travail de terrain a permis de reconnecter des préoccupations concrètes avec un projet de transformation écologique et sociale.
Je pars du principe que les gens ont les outils en eux, dans leur groupe, pour résoudre leurs problèmes. Ils n’ont pas besoin de diplômes, ils n’ont pas besoin de structures nécessaires. Ils ont besoin de méthodes, de temps et de relations fortes les uns entre les autres pour arriver à gagner des trucs.
Elle défend le pouvoir de la conversation, y compris (et surtout) avec celles et ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord.
Ce qui nous attend, en tout cas dans la France rurale et périurbaine, c’est une reconstruction qui va prendre des années pour repolitiser des vécus. Ça va passer par le collectif, ça va passer par le fait que les gens réalisent qu’ils ne sont ni obligés, ni tenus, ni censés y arriver tout seuls. Parce que le capitalisme et l’individualisme ont fait des ravages.
Rendre visibles les luttes décoloniales
Micheline Pham, militante du collectif Vietnam Dioxine, rappelle combien il est difficile de médiatiser les luttes décoloniales, comme celle des victimes de l’agent orange au Vietnam. Pourtant, cette lutte est un exemple typique de l’alliance entre extractivisme, guerre, pollution et racisme environnemental :
On essaie de montrer le continuum colonial et écocidaire que peuvent avoir les guerres sur les territoires et les populations non blanches. On fait aussi énormément de parallèle avec ce qui se passe à Gaza, notamment avec le phosphore blanc.
Le collectif a su rendre audible sa voix à travers le procès de la militante franco-vietnamienne Tran To Nga contre Monsanto, mais l’accès aux grands médias reste extrêmement limité, à cause d’un racisme structurel et de la hiérarchisation des récits.
Des pistes pour agir
Bonne nouvelle, il existe des solutions pour résister ! Plusieurs pistes concrètes ont été abordées au fil de la discussion :
- Créer et soutenir des médias indépendants qui racontent les luttes avec rigueur
- Nommer les responsables : les oligarques, les multinationales, les idéologies dominantes
- Adapter nos récits aux réalités culturelles des publics qu’on vise
- S’allier entre luttes antiracistes, écologistes, féministes et sociales
- Jouer avec les algorithmes pour détourner les codes et tromper les bulles informationnelles
- Militer sur le terrain et en ligne : les deux espaces sont essentiels et complémentaires
Cette table ronde a réaffirmé une chose essentielle pour nous, miltant·es, mais aussi pour tout·e citoyen·ne : nous ne gagnerons pas la bataille climatique sans livrer la bataille culturelle.
Face à la montée du carbofascisme, alliance délétère du capitalisme fossile et de l’extrême droite, nos récits doivent être plus ancrés dans nos luttes et être diffusés de manière collective.
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Photos: @greenbeforedisaster






