La nomination du gouvernement de Michel Barnier s’inscrit sans grande surprise dans la continuité d’une droitisation de l’extrême centre désormais confondue voire dépassant la droite. Car en effet, la Macronie emboîte aujourd’hui le pas à l’extrême droite sur les volets sécurité et immigration et semble même vivre sous le joug d’une Marine Le Pen prête à avaliser une énième motion de censure, voire une destitution du président. Croyant flairer un air du temps qu’il a en fait largement contribué à façonner, Emmanuel Macron, via Michel Barnier, confirme la domination d’une vision ultra-libérale et réactionnaire, au service des puissants et des intérêts des multinationales. L’horizon d’un renouveau politique semble se refermer en spirale descendante. Jusqu’où ?
Un gouvernement réactionnaire
En confiant les principaux ministères à des figures de la droite dure, issues pour certaines de la Manif pour tous, Michel Barnier a dessiné les contours d’une équipe résolument conservatrice. Bruno Retailleau au ministère de l’intérieur, Patrick Hetzel à l’enseignement supérieur et la recherche, Annie Genevard à l’agriculture et Catherine Vautrin aux territoires et à la décentralisation : ce casting gouvernemental laisse présager un recul majeur sur les questions de justice sociale et de droits humains. A quel degré de médiocrité et de trouble dans nos acquis politiques et nos appuis institutionnels les plus solides est-on arrivé lorsque, premier ministre, on se trouve dans l’obligation de déclamer à heure de grande écoute, quelques jours après nomination, qu’ « il n’y aura pas de retour en arrière sur la PMA, le droit à l’IVG, les droits LGBT » ?
Pour les plus optimistes qui en doutaient, la chose est décidément tranchée : ce quinquennat ne sera pas écologique. Comment élaborer une politique écologique qui tienne la route lorsque la matrice idéologique qui la fonde ne s’articule pas aux enjeux sociaux, décoloniaux ou féministes ? En bref une écologie inclusive, donnant voix à tous les êtres qui habitent ce monde, et attentive à leur diversité. C’est depuis un tout autre registre d’adjectifs que nous sommes conduit.es de choisir celui qui qualifiera vraisemblablement cette fin de second quinquennat : austéritaire, sécuritaire, anti-social, diviseur, lâche. En tout cas, surtout pas écologique. Probablement parce qu’il est logé au ciel des privilégié.es pour qui l’urgence climatique n’est qu’un levier carriériste de politique, l’impression de légèreté de ce nouveau gouvernement vis-à-vis de la question écologique est patente. A commencer par la nouvelle ministre de la Transition écologique qui veut « anticiper un monde à +4°C ».
Une écologie ni ambitieuse, ni populaire
Déjà en poste sous le gouvernement d’Élisabeth Borne, Agnès Pannier-Runacher a beau marteler qu’elle portera « une écologie ambitieuse et populaire », nous avons bon droit de douter. Cette dernière n’est pas seulement idéologiquement proche des lobbies industriels généreusement arrosés de subventions sans comptes à rendre, ou, pour l’industrie nucléaire, assistée dans ces besoins de déploiement rapide par la mise sous tutelle administrative de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) avec tous les effets d’interférences et d’injonction à la rapidité de traitement que peuvent avoir les priorités politiques sur le travail quotidien des expert.es. Notre ministre y est aussi financièrement liée.
Sa famille détient des parts dans une société héritée de son père, ancien dirigeant de Perenco, géant pétrolier spécialisé dans l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. Un conflit d’intérêts majeur qui jette une ombre sur sa capacité à défendre l’environnement contre les dérives de l’industrie.L’idée libérale la plus répandue n’est-elle pas que les individus agissent en fonction des intérêts personnels qu’ils espèrent en tirer ? Alors pourquoi face au gros de l’évidence faudrait-il taire les puissantes déterminations auxquelles est soumise Mme la ministre et qui, à coup sûr, rejailliront en creux ou en plein dans l’élaboration des politiques publiques et l’ambition de changement qu’est censé incarné son ministère, dans un gouvernement au sein duquel elle semble, chose accablement triste, incarner le pôle le plus à gauche.
L’agriculture sous la coupe de la FNSEA
Le ministère de l’Agriculture, quant à lui, tombe entre les mains d’Annie Genevard, figure filloniste et conservatrice. A lire son CV, on peut s’interroger sur les raisons qui ont motivé sa motivation. « Intellectuelle totale »1, son champ d’intervention semble sans limite, pêle-mêle elle prendra position sur les dispositifs d’accueil des gens du voyage, sur les droits LGBT et IVG, sur « l’islamisme conquérant » de nos sociétés, ou encore sur l’enseignement des langues qu’elle qualifie de « communautaires » (arabe, serbe, portugais etc.). Au registre des compétences de cette ancienne professeur de lettres classiques, encore fallait-il ajouter la maîtrise époustouflante des figures de style et particulièrement de la répétition, et, selon l’interlocuteur.rice, de la litote ou de l’euphémisme.
Répétition d’abord de la langue de la FNSEA, syndicat agricole dominant et illusoirement2 unique représentant auprès de l’Etat de l’intérêt de tous.tes les exploitants. « Alléger la paperasse, réduire les interdits » répète-t-elle en écho troublant avec les mots que le puissant lobby professe pour un maintien d’une agriculture productiviste. Tout semble devoir y passer : réautorisation du glyphosate, moratoire sur les interdictions de phytosanitaires, dérégulation de l’irrigation etc. Tout sauf l’essentiel : les accords de libre échange, les aides de la PAC et plus généralement, une réflexion sur la concurrence entre les produits français et européens et les produits d’importation plus compétitifs du fait de normes moins contraignantes et d’un droit du travail plus souple. Or voilà, la répétition interdit l’innovation ; ici le courage politique aurait été de renégocier des mécanismes de rémunération plus justes et alignés avec l’urgence écologique. Suivant cette logique du perroquet, on est irrémédiablement conduit à la sagesse d’Annie Genevard : « pas d’interdiction sans solution ».
Litote ou euphémisme ensuite, car, derrière la formule « redonner du bon sens à toutes les règles », il faut y lire ni plus ni moins que le détricotage en règle des normes environnementales et sanitaires, pour un bénéfice économique qui restera probablement minime, mais pour un coût environnemental et sanitaire qui lui sera probablement élevé, avec en premières lignes, les agriculteurices eux/elles-mêmes. En prônant une agriculture débridée et intensive, ce ministère tourne le dos aux revendications des agriculteurs les plus fragilisés, qui réclament une juste rémunération et des prix planchers pour survivre.
Enfin, la nomination d’Annie Genevard marque un profond recul pour la reconnaissance politique du droit des animaux : contre les repas végétariens dans les cantines, favorable à la coupe des fonds pour les associations animalistes, défenseuse des méthodes de chasses traditionnelles. Ici encore c’est une politique excluante qui s’engage, au détriment, sinon au mépris des besoins des petits producteurs et du droit des animaux et de l’environnement relégués au second plan.
Austérité budgétaire sur fond de déni de l’urgence sociale et climatique
Avec ce remaniement ministériel, non sans joie, les ex-ministres Gabriel Attal et Bruno Le Maire se seront délesté de la lourde dette budgétaire dans les mains du nouveau premier ministre3. Au total, la cure d’austérité prévue par le gouvernement se compose de 40 milliards d’économie et 20 milliards de hausse des recettes.
Les orientations budgétaires du gouvernement Barnier sont également un signal alarmant. En reprenant le projet de budget de 2025 de l’ancien gouvernement, Michel Barnier s’inscrit dans une logique d’austérité budgétaire, compromettant ainsi toute perspective de relance des services publics ou d’investissement massif dans la transition écologique. Alors que l’urgence climatique devient chaque jour plus pressante, les coupes budgétaires confirment le manque de volonté politique pour répondre aux enjeux.
« Ce quinquennat sera écologique ou ne sera pas », affirmait Emmanuel Macron en 2022. Deux ans plus tard, la réalité est toute autre. Loin de répondre aux aspirations d’une écologie populaire et d’une justice sociale, ce gouvernement ancre la France dans une gestion dévouée à rassurer les marchés financiers. Les quelques mesures écologiques prises se font dans l’intérêt exclusif des industriels, alors que les premières victimes du dérèglement climatique – les plus précaires – sont abandonnées à leur sort.
Halte à la résignation, mobilisons-nous !
Tandis que la pauvreté grandit, que le mal-logement explose, que les files d’attente devant les distributions alimentaires s’allongent, et que les catastrophes climatiques se multiplient, le président de la République semble de plus en plus déconnecté du monde. Pire encore, il contribuer à accentuer la fracture sociale et climatique en normalisant les discours autoritaires et xénophobes jusque là inaudibles4. Loin de se limiter aux marges, certains discours d’extrême-droite trouvent désormais écho au sommet de l’État avec des ministres comme Retaillau à l’intérieur.
Face à cette situation et contre ce gouvernement réactionnaire et libéral, l’heure n’est plus à la résignation mais à la mobilisation. Une seule ligne : une justice climatique et sociale, une écologie réellement ambitieuse, réellement populaire. En choisissant d’aller à l’encontre du choix des français.es qui ont majoritairement soutenu le Nouveau Front Populaire lors des dernières élections, Emmanuel Macron affaiblit certes le sens du jeu politique, mais il canalise la colère populaire en une énergie politique qui pourrait mener à des bouleversements positifs. Mieux encore, travaillons à les construire.
- Selon l’expression de Pierre Bourdieu, « L’intellectuel total et l’illusion de la toute-puissance de la pensée », Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992, p. 293-297. ↩︎
- La base d’adhérent.es du syndicat est essentiellement composé d’agricultrices et agriculteurs « conventionnels » rompus au mécanisme des aides de la PAC qui rétribuent plus les grandes exploitations, toutes choses égales par ailleurs. ↩︎
- Une commission d’enquête visant à mettre au jour les raisons, et notamment les méfaits politiques ayant conduit à ce dérapage budgétaire inédit s’ouvrira probablement dans les prochains jours. ↩︎
- Il suffit pour cela de se souvenir de la vive contestation qui a accompagné la première prise de parole de Jean-Marie Le Pen sur l’antenne 2 à l’époque. ↩︎